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Refuser le mythe de tout se dire en couple
Tordre le cou d’une jolie idée empoisonnante
« C’est évident ! Puisqu’on se fait confiance, on devrait tout se dire ! » Que cette idée est belle. Elle donne tellement envie que beaucoup de couples préfèrent que cette réalité soit vécue dans le couple d’en face plutôt que dans le leur. Ils refusent de tout se dire en couple alors qu’il acceptent que les autres se disent tout. Ne serait-ce pas une manière de refuser le mythe de tout se dire en couple, justement ?
Comment expliquer cela ? Ce vieux serpent de mer serait-il un mythe ou recèle-t’il une actualité pertinente ? Et que voudrait dire « tout se dire » ? Est-ce vraiment tout ou une partie du tout ?
Les partisans du « oui »
Ne tirons pas à boulet rouge sur les partisans du « oui ». Quand un conjoint pense qu’il faut tout se dire, il est important de prendre le temps de l’écouter. De nombreuses fois, je vous ai expliqué l’importance de l’écoute bienveillante. Elle permet à l’autre de se donner le droit d’exister, de se dire et de se livrer avec la certitude de ne pas être jugé ou évalué.
Si sa position est perçue, ne serait-ce qu’un peu, gênante, il pourrait préférer se taire. Quelle que soit la position de votre conjoint, écoutez-le. Cherchez, non seulement à le comprendre mais à aller chercher ce qu’il veut dire.
Il n’est pas de conjoint qui aspire à vivre cette volonté du « tout dire » qui ne soit motivée par une volonté de transparence. Elle appartient, chez eux, à une définition de l’amour. Or, la transperce est perçue comme synonyme d’honnête, de confiance. A partir du moment, où il n’est pas possible de voir tout ce que vit l’autre, cela sous-entendrait qu’il y ait des choses à cacher. Qui dit « choses à cacher » dit, tromperies, manipulations, secrets.
Combien de fois j’entends des couples dire qu’ils n’ont aucun secrets l’un pour l’autre. Ils sont alors, ouvertement, des partisans du « oui ». Ils estime qu’il ne peut y avoir de jardin secret dans l’amour. Mais, pourquoi jardin secret est-il systématiquement synonyme de mensonges, de cachotteries ? N’avons nous pas un besoin d’un jardin qui ne soit qu’à nous dans lequel s’écrire et s’inventer sans qu’il soit accessible à tout va à quelqu’un d’autre que soit ?
Dans la tentation de tout se dire, de tout partager, il y a le désir de connaître parfaitement l’autre. Mais « l’autre restera toujours un mystère », rappelle Emmanuelle Bosvet, formée à Couple et Familles Lyon, exerçant en cabinet libéral depuis 7 ans à Belleville sur Saône, au nord de Lyon. Elle affirme aussi que « le désir se nourrit d’une part de mystère ».
Les partisans du « non »
Quant aux partisans du « non », ceux qui ont choisi de refuser le mythe de tout se dire en couple, ils semblent conscients du besoin de vivre leur propre vie dans une vie à deux. Il leur apparait donc légitime que des aspects d’eux-mêmes leur échappant, échappent aussi à leur conjoint. Il n’est pas nécessairement question de cacher ou de tromper l’autre en ne lui livrant que des morceaux choisis de soi. L’intention est d’accueillir la vie avec la diversité des aspects qui la compose ; les aspects visibles et ceux qui resteront cachées.
Il y a un fossé considérable entre « ne pas dire » et « ne pas vouloir dire ». Il y en a un également un autre entre « garder pour soi » et « ne pas vouloir dire ». Les partisans du « non » l’intègrent sans efforts.
Bien entendu, il ne serait pas juste de passer sous silence certaines démarches nourries de cachotteries calculées. Celles qui frôlent la schizophrénie consciente dont l’intention est de vivre une double vie. Certains adeptes de cette manière de vivre se reconnaîtront. Ils verront facilement leur volonté de vivre sous silence certaines portions de leur quotidiens qu’ils condamneraient eux-mêmes dans la vie de leur conjoint, si elle venaient à être connues. Je ne peux que prendre position sur cette manière de vivre.
Malgré tout, je la comprends, d’autant qu’elle devient parfois l’issue de secours du couple. Les partisans du » non » mesurent le risque de dire leur travers quand ils prennent consciences de leurs gravités. Ils savent qu’ils cabosseront leur couple, à coup sûr. Leur culpabilité peut devenir telle qu’ils se verraient légitimement débarqués de leur vie à deux, sans pouvoir mot dire.
Refuser le mythe participe à un équilibre conjugal
Il est, toutefois, des partisans du « non », bien plus nombreux qu’il n’y parait, qui savant que refuser le mythe de tout se dire participe à un équilibre conjugal. Il est une forme de respect de l’autre. L’amour impose ce respect. Il implique que j’accepte que des pans de ta vie ne me soient livrés que si tu estimes judicieux de le faire. Je te fais confiance par te donner à moi comme tu le veux, quand tu le veux et sur les points que tu jugeras bon de m’offrir.
Ne trouvez-vous pas qu’il y a une forme de danse amoureuse dans ce triptyque là ? « Te donner à moi comme tu le veux, quand tu le veux et sur les points que tu jugeras bon de m’offrir » ? J’ai déjà l’impression de voir un couple faire l’amour dans cette danse là. Une danse qui se vit à deux, dans un respect et une confiance mutuelle qui donne davantage de place à la confiance qu’à la transparence. Mesurant que l’une et l’autre se complètent dans un flou mesuré, librement controlé par l’autre, et pas par soi.
Michel Pelletier, psychothérapeute, dit clairement « Non ». « Il y a des choses qui n’appartiennent qu’à soi et qu’il faut garder pour soi. En tant que psychothérapeute, je pense que c’est très important de garder son jardin secret. »
« Se dire » prime largement sur « tout se dire »
Je pense qu’il est urgent de ne pas confondre « dire » et « se dire ». La compréhension de cette nuance aide considérablement à refuser le mythe de tout se dire en couple.
En mettant l’accent sur « dire », la focale est centrée sur l’information.
L’attention, ainsi focalisée, demande à l’autre, tel un reportaire, de faire état de toute information. Le lecteur conjugal, positionné en face, entendrait, faisant un tri de ce qui lui parait utile ou non, de ce qu’il estime important ou pas et de ce qui lui apparaîtrait comme condamnable ou non.
Dans cette démarche centrée sur « dire », plutôt que sur « se dire », la confiance changerait de mains. Le conjoint demandeur d’informations agirait en décrypteur de l’autre. Mais à quoi bon tout savoir de l’autre ? Sur quelle base pourrions-nous faire le tri de ce qui compte comme de ce qui serait insignifiant ? Y-a-t’il des choses insignifiantes et des choses importantes dans la vie de votre conjoint ? Si c’est le cas, qui mieux que lui serait en mesure de faire ce tri ?
En mettant l’accent sur « se dire », la focale est centrée sur l’autre, le conjoint qui « se dit ».
Le génie de cette démarche porte toute l’attention sur l’autre. Il n’est plus question de savoir (maîtriser l’information) mais de connaître (naître avec). La maitrise de l’information ou de qui que soit d’autre devient accessoire. L’importance se joue dans ce que vit l’autre comme dans son ressenti sur ce qu’il vit. Qu’il ait fait ceci ou cela est bien égal. Ce qui compte, c’est ce qu’il a ressenti, l’expérience ayant infusée en lui ou en elle.
Je sais que les exemples parlent plus facilement alors je vais vous en donner un pour vous aider à faire la différence entre inviter à « dire » et inviter à « se dire ».
BASE DE DEPART DE L’EXEMPLE : Mon conjoint rentre du travail et me dit avoir croisé son ex. Voici comment se déroulerait l’échange en fonction de l’angle de centration.
Exemple de dialogue : centré sur « dire »
- Tu as croisé ton ex ? Mais où ça ?
- Devant la banque
- Mais qu’est-ce que tu allais faire à la banque ?
- J’allais faire une remise de chèques
- Et, avec ton ex, vous avez discuté ?
- Oui, bien sûr
- De quoi ?
- De tout et de rien
- Pourquoi tu me dis pas de quoi vous avez parlé ?
- Parce que c’est sans importance, on a simplement échangé des nouvelles, c’est tout
- Et quelles nouvelles ?
- Il voulait savoir comment j’allais. Notre séparation avait été dure pour moi. Il ne savait même pas que j’étais en couple
- Et lui, il s’est remis en couple ?
J’arrête là cet exemple. Il s’agit d’un échange courant. Peut-être que plusieurs, parmi-vous, ont reconnu des manières de faire de leur propre couple.
Exemple de dialogue : centré sur « se dire »
- Tu as croisé ton ex ? Mais où ça ?
- Devant la banque
- Et comment tu as vécu cela ?
- ça m’a fait un peu drôle.
- Qu’est-ce que tu veux dire ?
- J’ai ressenti une distance, comme si c’était un étranger pour moi
- Tu le dis comme si tu avais découvert une chose de toi que tu ignorais
- Oui, c’est vrai, je ne pensais pas que ça me ferait quelque chose comme ça de le recroiser un jour.
- etc
Je m’arrête ici.
Préférez plonger à surfer
Vous avez vu la différence de centration. L’une pousse à regarder la surface alors que l’autre incite à aller au fond de la rencontre. Abandonner la jolie idée qui consisterait à tout se dire peut vous conduire à vous centrer sur votre conjoint en faisant en sorte qu’il compte plus que tout ce qu’il vit.
Il y a une forme de lâcher-prise nécessaire, dans cette acceptation. Du coup, vous accepterez de ne pas tout savoir (en terme de quantité) pour accueillir tout ce que votre conjoint vous dit (en terme d’intensité, de qualité). Cette centration sur la qualité de l’échange est bien plus porteuse. Elle permet de s’ouvrir vers l’autre à son rythme, dans le désordre, sans avoir à prendre de notes pour savoir ce qu’il reste à dire. Chaque chose est vécue et partagée librement, légèrement et intensément.
Marta Ibanez, sexothérapeute, préfère citer 10 choses à ne pas dire à son conjoint. Les voici :
- Le nombre de partenaires sexuels
- Ce que vous pensez de ses amis
- Parler de son ex
- Vos expériences sexuelles
- La belle-mère
- Les secrets de vos amis
- Ses points faibles
- Vos adultères
- Votre amour platonique
- Vos mots de passe
Quelle décision décevants que de conseiller de cacher certaines choses à son conjoint
Je me porte en faux face à ce conseil de Marta Ibanez. J’ajoute même que je suis très déçu de voir qu’un professionnel puisse, ainsi, conseiller une telle ânerie. J’aurais préféré la lire conseiller de laisser chaque couple et chaque conjoint faire sa propre expérience.
Je suis à 100% favorable au fait de refuser le mythe de tout dire en couple. Mais de là à dresser une liste de sujets à se refuser d’aborder, c’est un autre extrême. Je préfère de très loin l’approche de Michel Pelletier qui affirme que « le plus important, c’est de respecter l’autre. Ce n’est pas du tout facile de vivre en couple ! Au final, il faut se souvenir de la réponse qu’on donne à la question : «Pourquoi on est ensemble »« . Cette manière de voir le couple l’incite davantage à s’expérimenter, à se s’essayer, à s’apprivoiser, à se rechercher, à se limiter, à mûrir.
Je trouve tellement plus enrichissant de vivre une évolution conjugale forte de ses fragilités. Refuser le mythe de tous dire en couple est une école vers le conjugalité au sens étymologique ; cette manière de se conjuguer à deux.
Image par Ron van den Berg de Pixabay
J’adore ce concept de jardin secret qui n’est pas que constitué de mensonges, de trahisons et de malhonnêteté !
Un concept dont on devrait parler systématiquement 🙂
Eh oui, Sandra,
J’adore aussi ce concept et te remercie pour ton commentaire. Comment vis-tu ce jardin secret en couple ? Comment le vit ton conjoint ?
Un podcast très bien réalisé ! Et des conseils très pertinents. Je pense qu’il faut garder son jardin secret. Je ne serais pas à l’aise dans une relation qui ne me laisse pas libre de me confier comme je le sens.
Merci Aurore pour ton retour encourageant.
Dis-moi comment définir son jardin secret, d’après toi ? Quels limites et contours lui donner ? Enfin, poses-tu ses limites seule ou en parlerais-tu en couple (et pour quoi) ?
Au plaisir de te lire